« Il s’agit d’un plat très minimal composé d’un gros pied de poulpe, d’abord confit pour le rendre tendre, puis cuit très lentement pour lui donner une texture croquante. C’est le mélange du très moelleux et de l’hyper croquant qui est intéressant. La recette est longue à préparer. Une fois cuit, on ajoute de l’huile de pimenton, à la galicienne comme on dit chez nous. Et j’ai choisi de remplacer les pommes de terre par de l’ananas, qui est cuit à la plancha pour donner de la fraîcheur et de l’acidité. Ce plat, à l’esthétique soignée mais très pure, est devenu un classique du Fogón. »
Plats signature
« En 2015, avec l’Institut Cervantès à Paris, un organisme qui se charge de la promotion et de l’enseignement de l’espagnol depuis plus de vingt-cinq ans, j’ai travaillé à l’élaboration d’un menu complet en partant d’un tableau mis à l’honneur chaque mois pendant neuf mois. Chaque menu reposait sur un thème. Pour Diego Velasquez, le tableau retenu a été « Le Porteur d’eau de Séville», qui représente un jeune garçon tenant un verre d’eau. J’ai donc choisi de travailler sur la transparence de la nourriture. Nous avons ensuite cherché des recettes de l’époque, du début du XVIIème siècle, pour raconter sur la table une histoire cohérente. La démarche a été identique pour les huit autres tableaux, peints par Chardin, Miro, Picasso, Juan Sanchez Cotan, Miquel Barcelo, Pierre Roy, Luis Melendez et un peintre contemporain nommé Antonio Lopez. A chaque fois, il s’agissait de menus éphémères. »
« La peinture en général, et l’œuvre de Salvador Dali en particulier, me passionnent. Et j’ai toujours rêvé de concevoir quelque chose autour de Dali, qui est une véritable icône pour moi. A l’occasion de l’exposition qui lui a été consacrée au Centre Pompidou en 2012, j’ai conçu un menu inspiré de son histoire, de ses œuvres, toujours dans l’esprit Fogón, c’est-à-dire avec du riz et des tapas. Lui-même a écrit un livre de recettes surréalistes, « Les Dîners de Gala », dont nous avons conservé les noms. Nous avons notamment choisi d’interpréter l’œuf et l’omelette, comme le représente la photo (ci-contre ?) : il s’agit d’un œuf de pomme de terre dans lequel se trouve le jaune d’œuf, chaud mais cru. Il est posé sur des oignons et lorsque l’on casse l’ensemble, l’omelette se fait, à l’espagnole, dans le plat. »
« Cette tarte fine de chocolat aux olives noires m’a été inspirée par la fameuse tarte fine aux pommes. Un jour, je regardais des biscuits au chocolat pour le goûter du commerce avec d’un côté du chocolat et de l’autre du biscuit, et cela m’a donné l’idée de concevoir une tarte fine au chocolat. J’ai ajouté des olives noires parce qu’elles s’accordent très bien avec le chocolat. L’huile d’olive et la fleur de sel aussi, d’ailleurs. Nous avons conçu une petite salade d’herbes aromatiques, avec des olives confites et un sirop sucré. On a longtemps travaillé jusqu’à parvenir à ce résultat, qui a rencontré un très grand succès. La vraie intention était de proposer une tarte fine au chocolat, avec autant de pâte que de chocolat et rompre ce côté uniquement sucré. »
« Les pimientos del piquillo, ces poivrons du nord de l’Espagne, se présentent épluchés mais crus dans leur jus. Ils se révèlent donc assez difficile à digérer. Ce qui m’a amené à l’idée de les confire. Mais s’ils sont trop confits, ils deviennent difficiles à manipuler. Je me suis donc servi de la technique de la tarte Tatin. Je les fais confire directement dans le moule de cuisson, recouverts d’une pâte feuilletée. Et cela est servi au format d’une bouchée, le tout restant très joli à voir. »
Avant d’ouvrir mon restaurant à Paris, j’ai constaté que les plats espagnols les plus connus à Paris étaient les tapas et la paëlla. Et, surprise, juste après arrivait la sangria. Personnellement, j’en ai toujours eu une mauvaise image. Ce n’est ni gourmet ni gourmand, pas fin et peu délicat. Mais tout le monde m’en demandait, parce qu’un restaurant espagnol se devait de proposer de la sangria. J’ai donc cherché une idée qui amène un goût intéressant. Nous avons toujours servi de la sangria mais c’est en 2008 qu’est arrivée sur la carte la sangria Fogón.
« C’est ma réponse aux très nombreuses demandes des clients qui ont l’habitude de manger du jambon avec du beurre. J’ai bien proposé de l’huile d’olive, mais on me demandait toujours du beurre. J’ai donc cherché et je me suis dis que j’allais mettre le jambon dans le beurre. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de créer une merveille de beurre. On prend un beurre salé de première qualité auquel on ajoute de la graisse de jambon fondue à froid. J’avoue que j’ai eu de nombreux soucis avant de parvenir à faire « fondre à froid » mais j’y suis arrivé. Tout est dans les proportions. Le résultat n’est pas rance, ni salé. »
« Ces toasts d’anchois au caramel constituent un mélange atypique et contradictoire qui conduit à une harmonie finale. C’est comme si on mixait du Wagner avec du Jim Morrisson. Nous avons une importante culture des anchois à l’huile d’olive, ce produit très recherché, rare et donc très cher. Reste que beaucoup de gens éprouvent des difficultés à manger ce produit qu’ils trouvent trop salé. C’est une question de goût et d’habitude.
Un jour, alors que mon beau-père, qui est argentin, nous avait offert à ma femme et moi, du dulce de leche, sans trop y penser, j’ai mélangé cette confiture de lait avec des anchois. Sur le coup, j’ai trouvé cela intéressant et j’ai donc commencé à travailler assez longuement sur cette idée, à élaborer une émulsion, pour arriver à ce plat. »
« La paëlla, comme le gaspacho, est une technique culinaire, depuis environ trois siècles. Mais attention, en Espagne, on peut arrêter quelqu’un pour une question de chorizo sur de la paëlla ! Ceci pour dire qu’il est impossible de mettre tout le monde d’accord sur ce plat et définir une recette authentique. En réalité, la cuisine traditionnelle est issue d’une tradition orale. Tout change, d’une région, d’une ville ou d’une famille à une autre. Même la paëlla, qui signifie la poêle, change.
Même s’il n’existe pas de recette réelle et authentique, une ligne nous permet de nous approcher de la recette fondatrice, qui est la paëlla à la valencienne. Elle comprend toujours du poulet, du lapin et différents haricots. Et c’est tout. Pas de chorizo, pas de fruits de mer, pas de poisson. C’est à la fois la plus connue et la plus méconnue… Ce qui explique que celle-ci soit appelée « paëlla à la valencienne » alors que toutes les autres sont du « riz en paëlla ».
« Le gaspacho est bien plus qu’une recette ou un plat, c’est une technique. Et ce depuis vingt et un siècles ! Il existe en fait deux sortes de gaspachos, ceux de cuillers et ceux de fourchettes, c’est-à-dire les liquides et les solides. A l’origine, il n’y avait pas de tomate, puisqu’elles ne sont arrivées en Europe qu’au XVIème siècle, mais on sait qu’ils comprenaient des fruits secs, des légumes et des herbes. Le gaspacho est réalisé depuis toujours avec de la mie de pain, de l’huile et du vinaigre. Ce sont les trois condiments essentiels du gaspacho. Au départ, de nombreuses personnes éloignées de cette culture pensaient que c’était une sauce. J’ai donc commencé à expliquer qu’il s’agit d’une soupe, et qu’il faut donc la boire ! Et c’est ainsi que j’en suis arrivé à écrire un livre sur le gaspacho.